Portrait : Oscar Goldschmidt
En Toscane, derrière les collines baignées de soleil et l’esthétique aux nuances terracotta des cartes postales, se cachent des métiers d’une intensité rare. Ceux où l’on vit au rythme des animaux, de la terre et des saisons. À Corzano e Paterno, Oscar Goldschmidt incarne cette vérité-là : une vie sans artifice, faite de rigueur, de passion, de gestes ancestraux… et d’une beauté brute qui marque longtemps.
Qui n’a jamais rêvé de tout envoyer valser pour élever des chèvres, se lever avec le soleil et respirer l’air pur de la campagne ? Ma rencontre avec Oscar Goldschmidt fait précisément partie de celles qui nourrissent ce fantasme, autant par la noblesse du métier d’éleveur de brebis et de fromager que par l’aventure familiale de Corzano e Paterno.
Si la Toscane fascine par sa lumière, ses paysages et ses couleurs, le métier d’Oscar rappelle une réalité bien plus exigeante : un travail 365 jours par an, une discipline sans faille, des gestes précis, du talent, et surtout une équipe soudée.
Oscar rejoint en 2019 la Fattoria Corzano e Paterno, vaste domaine familial de plus de 200 hectares d’un seul tenant aux portes de Florence. Ici, c’est d’abord un lieu où se défendent un héritage culturel et un patrimoine vivant. Toutes les activités se répondent et s’entremêlent dans un modèle pensé pour l’autosuffisance : Ariana, sa cousine, veille aux vignes et aux oliviers ; sa sœur gère l’agriturismo, le restaurant et les hébergements ; et Oscar concentre son énergie sur la fromagerie.
La première fois que je suis arrivée à Corzano e Paterno pour acheter de la ricotta, j’ai été sidérée par la beauté du lieu au terme d’une route… dont les amortisseurs de ma voiture se souviennent encore. Une vue à 180 degrés sur des collines ourlées de cyprès, ponctuées d’oliviers, drapées de bois et de prairies : une Toscane de carte postale, intacte.
Oscar m’avait donné rendez-vous à 14h, l’heure où il fait rentrer les brebis à l’étable. Si la ponctualité italienne obéit parfois à des règles flexibles, les brebis, elles, fonctionnent comme des horloges suisses : 352 paires d’yeux et d’oreilles braquées sur moi. Oscar m’explique rapidement le comportement à adopter avec les bergers de la Maremme, ces chiens capables de tenir tête à un loup. Autant dire que je restais discrète : ils travaillent, protègent leur troupeau, et chaque pas vers les brebis les met automatiquement en alerte.
Après quelques reniflements d’usage, Oscar ouvre la barrière : la marche vers l’étable commence, serrée, bêlante et un peu irréelle. Les chiens guident le troupeau sans un mot ni un geste ; chacun connaît parfaitement son rôle. Avec six chiens au domaine, Oscar m’explique que leur entretien représente l’équivalent d’un salaire mensuel (alimentation, soins, reproduction) nécessaire pour maintenir des lignées solides et complémentaires.
Être éleveur, c’est s’impliquer chaque jour de 4h30 à 19h30, sans exception. Selon lui, les qualités indispensables sont le respect des animaux, même dans la fatigue, même les jours où l’humeur vacille, et cette constance est nourrie par la passion du métier.
Le grand défi, toutefois, reste la viabilité économique. Sans les synergies entre les différentes activités de la Fattoria, la production fromagère serait difficilement soutenable seule, ou impliquerait de doubler les prix. Ici, chaque activité permet à l’autre d’exister.
Une fois les brebis à l’étable, Oscar retourne au domaine et enfile sa tenue de laboratoire. Toque vissée sur la tête, il s’affaire aux multiples étapes de production. Les gestes sont sûrs, méthodiques, mais suffisamment souples pour s’adapter aux variations saisonnières. Il perpétue les recettes imaginées par sa mère tout en y ajoutant ce qu’il a appris auprès de grands affineurs français. Ses caves d’affinage, aux conditions hygrométriques et thermiques variées, témoignent d’une précision quasi œnologique.
Les parallèles avec le monde du vin sont nombreux. Et, comme souvent, c’est autour d’une table que l’on se retrouve : pour déguster, comprendre, célébrer ce savoir-faire qui relie la terre, les animaux et la main de l’homme.
Il y a, chez Oscar, une manière unique de faire parler le lait, et je dois avouer que certains de ses fromages sont devenus des incontournables pour moi. La ricotta, d’abord : vous ne savez pas ce que c’est tant que vous n’avez pas goûté celle-ci, notamment au printemps, avec le lait au parfum d’herbes fraîches. Le pecorino, ensuite : le patron des fromages locaux, sculpté par le temps. Affiné comme il faut, il est superbe, surtout accompagné du Verdicchio du domaine… un accord parfait. Puis il y a Buccia di Rospo (bave de crapaud), au nom sorti d’un conte, un fromage qui flirte quelque part entre le saint-nectaire et le camembert, avec cette pâte tendre et généreuse qui réconforte immédiatement. Enfin, Rocco al papavero, presque une relation intime : un cœur coulant, une texture voluptueuse, un caractère affirmé. Le genre de fromage qui crée le silence à table.
Merci Oscar pour ton accueil, ta générosité et cette immersion dans ton quotidien. Ton métier force le respect : de la terre à la brebis, du chien au fromage, il raconte une histoire d’engagement, de patience et de goût. Une histoire profondément toscane et profondément humaine.